Vers les Sirènes
Renée Vivien
Vous craignez le désir, ô compagnons d'Ulysse!
        Aveugles et muets, l'âme close au péril
        De la voix qui ruisselle et du rire subtil,
        Vous rêvez des foyers qui recueillent l'exil
        Aux pieds lassés. Moi seul! ô compagnons d'Ulysse,
        Moi seul ai dédaigné la fraude et l'artifice,
        Moi seul ose l'amour et le divin péril.
        
Dénouant leurs cheveux fluides, les Sirènes,
        Ceintes de la langueur et du regret des morts,
        S'approchent, un reflet de perles sur leurs corps.
        Elles chantent... Leur voix se mêle aux clairs accords
        Des vagues et du vent... J'entrevois les Sirènes...
        Elles chantent l'amour qui corrode les veines
        Comme un venin, et fait pleurer les yeux des morts...
        
O lâches compagnons d'Ulysse! Pour une heure
        Je donne l'existence humaine! Pour un chant
        Vaguement répété par la mer au couchant,
        Pour un visage à peine entrevu, se penchant
        Sur le miroir brisé des ondes, -- pour une heure,
        J'accepte le silence où le néant demeure,
        Le silence où périt la mémoire du chant...
        
        Chansons pour mon ombre.
	Pauline M. Tarn (a.k.a. Renée Vivien)